Les Séminaires Thématiques 2024
Effets de la Modernité dans la clinique (7)
Cycle de formation 2024 sous la direction de
Marie-Laure Dimon, Christine Gioja Brunerie et Anne-Marie Leriche
Le monde et ses métamorphoses :
le virtuel et la psychanalyse
Samedi 3 février 2024 :
USIC, 18 rue de Varenne – 75007 Paris
Samedi 1er juin 2024 :
USIC, 18 rue de Varenne – 75007 Paris
Dans le cadre de la formation continue, le CIPA propose deux séminaires thématiques au cours des premier et deuxième trimestres 2024. Ils comporteront chacun deux exposés. Cette année ces séminaires seront animés par Christine Gioja Brunerie et Albert Le Dorze. Nous étudierons, à travers les apports spécifiques des intervenants les interactions entre le monde et ses métamorphoses, le virtuel et la psychanalyse.
Cette formation s’adresse aux psychanalystes, psychiatres, psychologues cliniciens et aux professionnels intéressés par les effets de rencontre entre le sujet de la singularité et la culture. Ces séminaires observent et interrogent la fabrication du social par les individus et les répercussions du politique et du social dans la psyché humaine avec la modernité
Le monde et ses métamorphoses :
le virtuel et la psychanalyse
Marie-Laure Dimon
Dans les sociétés modernes et notamment occidentales, la venue du numérique et des réseaux sociaux contribuent à la création de nouvelles formes de structuration tant sur les plans individuel que collectif. Ces formes se constituent sur l’image pour en dévoiler une autre fondée sur le moi-même. Nous tenterons alors de comprendre les effets de ces transformations du monde sur les individualités et le collectif à partir de la transdisciplinarité mettant en évidence les interdépendances de différentes disciplines : la psychanalyse, l’anthropologie, la philosophie, l’art mais aussi la communication et la technologie.
La psychanalyse éclaire les conflits psychiques qui sont sous-tendus par l’imaginaire individuel et l’imaginaire social auxquels s’ajoute aujourd’hui l’imaginaire issu du numérique. Celui-ci instaure un monde de la fluidité dans lequel les frontières sont devenues poreuses et parfois se dissolvent.
Nous habitons des mondes où les espaces superposés , tels le monde du soi-même et le monde du social, sont le plus souvent en tension. Ces deux mondes se situent au fondement de la création du lien, à l’origine de l’intersubjectivité qui se fait au prix d’un renoncement à la complétude, en privilégiant le monde de la présentation plutôt que celui du représentationnel, du déjà vécu.
Zygmunt Baumann nous fait comprendre le monde dit liquide dans lequel nous sommes actuellement où les individus, pris dans la frénésie des flux, de l’éphémère et du multiculturalisme, délaissent le champ de l’expérience.
Notre monde n’est donc plus homogène, ni en recherche d’une stabilité, mais en train de se construire/déconstruire tout en cherchant des cohérences, in fine, du commun, plutôt du côté du pragmatisme, celui des normes, que du partageable qui nécessite du renoncement. Ce monde de la présentation de l’actuel est aussi celui de l’imprévisible, du déséquilibre et de l’inachevé. Il devient un monde du virtuel orchestré par le numérique et se mélange à celui de la machine et de l’hypertechnologie.
Comment le monde du virtuel qui sollicite les sens, plus particulièrement l’ouïe et la vue, permet-il d’habiter un monde de l’imaginaire ? Aujourd’hui ce monde est, de fait, le réel et donne accès au symbolique. Cependant le réel viendra-t-il pour autant organiser les individualités dans leurs relations au monde ? Il n’y sera plus question de structure et d’articulation entre psyché singulière et social mais de systèmes proposant de nombreuses possibilités s’organisant autour de l’image, celle d’une hypersubjectivité. Le symbolique ne devient-il pas dès lors le performatif quand l’énoncé et l’acte sont dépendants du sujet lui-même, sujet de l’immanence et des circonstances et non de la langue seule ?
Les individus, toujours selon Z. Baumann, sont de ce fait amenés à modifier leurs agissements pour s’ajuster à ce « monde contemporain liquide » où chacun vit dans une société de valeurs volatiles et de tolérance à la fragmentation. La fluidité a fait entrer la société solide, dite traditionnelle, dans un monde liquide : monde de la vitesse et non de la durée, produisant des effets importants sur les psychés singulières. Les distances ne sont plus un problème et engendrent un bouleversement de l’espace spatio-temporel. Ainsi cette société est-elle constamment modifiable, captant sur le modèle absorption/rejet le moindre changement dans le monde. Le rôle essentiel de la subjectivité serait de devenir « acte » dans l’individualité comme dans le collectif.
Du côté de la psychanalyse, le virtuel est envisagé dès la vie fœtale et ceci à partir du modèle « anticipation/virtualisation », au cœur même du sujet dans sa pulsionnalité. La mise en rapport de la construction psychique du sujet et sa spécularisation est portée par la mère (le père) « porte-parole » du modèle familial et socio-culturel. Piera Aulagnier l’éclaire avec le concept de « la mère anticipatrice », parangon de l’enfant virtuel. Toutefois, cette mère est aussi une mère virtuelle dont l’enfant s’appropriera l’image pour constituer son Moi.
Dans son ouvrage Clinique des métamorphoses, Sylvain Missonnier précise combien le travail psychique de métamorphoses est crucial dans la trajectoire de la vie humaine et particulièrement à certaines périodes charnières et critiques, lieux d’où peuvent surgir les traces de ce qui aurait pu être anticipé par la mère/le père. En s’intéressant particulièrement à la vie fœtale et à l’image de l’échographie obstétricale qui devient la zone de rencontre entre le devenir parent et l’être humain, Sylvain Missonnier pose le concept de « la relation de l’objet virtuel » à propos de l’enfant à naître et de l’investissement préobjectal du lien. C’est la reviviscence des conflits les plus archaïques où le sentiment d’être précède le sentiment d’exister. S. Missonnier étudie aussi le travail psychique réflexif des parents ainsi que le perçu ou non de leurs propres difficultés. L’image, nous dit-il, est le premier contenant de nos tout premiers contenus psychiques.
Les transformations du sujet singulier dans ce monde virtuel nous amènent à interroger l’art et avec Jean Nadal, les artistes du suprématisme qui ont déconstruit l’image pour atteindre le monde du « sans objet », faisant percevoir au regardeur leur vécu extrême, celui du monde du virtuel, du « sans visage », mais aussi celui du vide et du rien qui représentent un état particulier, un narcissisme de mort dans un monde asexué avec le refus de l’objet. Pour Malevitch c’est le symptôme lié à tous les aléas socio-politiques qu’il a vécus. Ainsi les mondes superposés, point central avec l’hallucinatoire et l’hallucination du désir organisent-ils la pensée. L’artiste recrée à son insu le monde de la superposition avec l’analogie, le quantique, toujours séparés et reliés et qui se rejouent dans l’après-coup dans la vie psychique.
A partir de son ouvrage, Ils ont révolutionné la peinture, Jean Nadal montre la nécessité de s’interroger avec ces grands peintres sur ce qu’il en est de la « vérité de la vie fœtale » et des fantômes encryptés (Maria Torok). Les artistes ouvrent le chemin de l’espace prénatal, espace virtuel dont les traces de la sensorialité primitive montrent le rôle organisateur et fondateur de la vie psychique.
Qu’advient-il du sujet quand le virtuel psychique vient à faillir pour pouvoir accueillir et non absorber en lui ce nouveau monde ? Les travaux de Serge Tisseron et de Fréderic Tordo abordent la représentation du sujet virtuel du côté du non-sujet, ne sollicitant plus dans la cure analytique le refoulé, comme c’est le cas dans la névrose infantile, mais surtout des représentations de soi-même. Ces représentations requièrent un travail de création de l’analyste et de l’analysant, celui d’un nouvel espace réflexif nécessaire, notamment à l’écoute des états limites.
De plus, Frédéric Tordo propose un vertex en envisageant une virtualisation psychique dès la naissance à partir du concept de « dédoublement du Moi », notion qui définit « la faculté d’être sujet et objet de nous-mêmes ». Le sujet fait alors vivre en lui-même ce double intrapsychique, « autrui-en soi », celui de la mère anticipée intériorisée (autre virtuel) s’actualisant dans la mère externe. Alors le numérique et le jeu vidéo peuvent-ils permettre au sujet en souffrance d’un double virtuel, de se reconnaître comme sujet agissant par la création d’un double numérique (interne/externe), espace tiers, transformationnel, qui ouvre sur le processus d’introjection.
Le monde du numérique, celui de l’écran de l’ordinateur et du smartphone, met en mouvement un travail psychique. Celui-ci amène à une autre façon de communiquer en dépassant une immédiateté autoréférencée, autoengendrée, celle d’un soi-même, qui vient tisser des liens sociaux avec les autres, laissant advenir une pensée complexe.
Ainsi Yannick Lebtahi, en tant qu’universitaire en temps de Covid, a continué à dispenser un enseignement aux étudiants par le biais du numérique, dans un climat anxiogène et de turbulences émotionnelles. Elle nous fait saisir cette création virtuelle à partir des expériences vécues de solitude, celles de l’enseignant et de l’étudiant, face à l’écran devant lequel les postures réflexives et critiques transforment l’autoréférencement. Ce repli narcissique met la subjectivité en action par la mise en forme du double spéculaire de chacun, se voir soi-même en regardant les autres et réciproquement. Se forme alors une « agora virtuelle », un espace du virtuel où tous les possibles sont imaginés collectivement.
Pouvoir ainsi se représenter dans l’intersubjectivité le lien entre psyché et collectif, exige de reconnaître un monde de l’archaïque et d’une hypersensibilité à transformer afin de surmonter l’inquiétante étrangeté freudienne dans le monde du virtuel en devenir.
Virtuel, création : les métamorphoses du sujet
Samedi 3 février 2024, de 14h à 17h
La psychanalyse et le virtuel
Sylvain Missonnier
Le constat de l’immersion croissante de l’homme occidental du troisième millénaire dans des environnements interactifs de réalité virtuelle à travers ses avatars numériques est en passe de devenir une banalité. Paradoxalement, cette inflation s’accompagne d’un discours officiel relayé par les médias cherchant à convaincre d’une contre-vérité en regard de la pertinence de l’héritage philosophique du virtuel : il existerait une opposition radicale entre virtuel, RV et la réalité. Mais pourquoi donc l’idéologie contemporaine tient tant à cette étanchéité ?
Résolument centrée sur la « matière première » (Freud, 1900) de la psyché, la psychanalyse apporte un éclairage original à cette métamorphose en ces termes : l’expansion de la RV est un miroir troublant de la réalité psychique individuelle et collective qui vient dire haut et fort l’hyperréalisme de ses machinations désirantes. La RV est aujourd’hui en effet une des branches essentielles de notre réalité psychique et, à ce titre, elle est une des composantes les plus « réelle » de notre paysage psychique. L’hallucinatoire, le virtuel, et la naissance de l’art abstrait
L’hallucinatoire, le virtuel, et la naissance de l’art abstrait
Jean Nadal
De la peinture, dite figurative à l’abstraction, d’éminents peintres, depuis Léonard de Vinci, sont influencés autant par un accès à l’imaginaire enveloppé dans le continuum hallucinatoire, que par les bouleversements scientifiques : la « Loi de la relativité générale » et, tout particulièrement celles issues des découvertes de la « physique quantique ». Lois qui réinterrogent le réel, le virtuel, l’invisibilité – l’infiniment petit, les particules – autant de découvertes qui suscitent interrogations contradictoires et paradoxales, en particulier, ici, vis-à-vis du « tableau » que « porte » le peintre en tant qu’objet virtuel, messager de la sensorialité et de l’énergie du vide.
Discutante : Christine Gioja Brunerie
Virtuel, numérique : les nouveaux espaces du sujet
Samedi 1 juin 2024, de 14h à 17h
Mon avatar et moi : entre les deux mon cœur balance…
Yannick Lebtahi
Incertaine, l’aventure humaine – sans cesse renouvelée et transmise – fait face au défi d’un monde en métamorphoses où les frontières s’effacent au profit d’un espace ouvert, interactif et fluide. Au sein de nos sociétés, les turbulences mondialisées comme les conflits armés et les nombreuses inégalités sociales entrainent un désenchantement généralisé. En s’engageant pleinement dans la société numérique qui propose un monde toujours de plus en plus intelligent, l’individu explore les univers parallèles et envisage alors des rêves plus utopiques qu’il pourra ré‑investir ou non dans la société selon son degré de conscientisation. Face à son miroir magique qui lui offre une réalité déformée et illusoire, l’individu fasciné s’évade et tisse des relations au monde vertigineuses. Dans sa quête d’affirmation de soi, il se construit une ou des identités numériques avec lesquelles il co-existe, circule à sa guise dans les strates spatio-temporelles et d’un clic évince tout obstacle à son plaisir. Libérant l’expression des imaginaires, la société numérique attise nos pulsions les plus enfouies et nous confère la puissance d’un pouvoir sans limites. L’enjeu pour l’homme planétaire que nous sommes devenu ne se nicherait-il pas dans sa capacité à entrevoir un certain équilibre dans les apprentissages critique et en partage ?
Du double négatif au double positif dans les espaces virtuels. Quelles prothèses pour les états-limites ?
Frédéric Tordo
Le double se conçoit de multiples façons en psychanalyse. On peut l’approcher comme un autre même, comme un semblable, comme un double de soi, comme un fragment de la vie psychique… À l’origine de la vie, le bébé pré-conçoit l’autre comme un « autre subjectif virtuel » qui permet la création d’un espace de régulation de ses comportements mais encore un espace de re-doublement dans la mesure où cet autre, qui est aussi un objet primaire halluciné négativement, lui renvoie sa propre psyché naissante. C’est la fonction de miroir réflexif de l’objet primaire. Or, il existe des formes contemporaines de ce re-doublement, siège de la réflexivité (primaire ou même originaire), par l’intermédiaire de phénomènes d’externalisation et de projection dans les espaces de la virtualisation. Ces espaces virtuels offrent ainsi des fenêtres pour construire, même artificiellement, une réflexivité (ou pseudo-réflexivité), pour des sujets qui sont toujours aux limites de pouvoir créer des espaces de représentation de soi.