In Memoriam
Louis Moreau de Bellaing † – Sociologue, ancien Professeur des universités
Hommage à Louis Moreau de Bellaing
Cher Louis,
Tu étais plus qu’un simple collègue, tu étais l’ami pour chacun d’entre nous. Tu savais créer le lien social dans lequel l’amitié était un vrai support pour penser en confiance. Même si tu critiquais dans Rousseau son paternalisme, tu as écrit, dans un des ouvrages collectifs du CIPA, un article sur l’empathie reconnaissant par ta sensibilité que l’amitié chez ce philosophe, nous amenait à une profonde réflexion sur la nature humaine, la reconnaissance de l’autre et la valeur de l’amitié. Tu souhaitais que l’empathie soit pleinement identifiée non seulement dans ce qu’elle porte en elle la pitié mais aussi dans la reconnaissance de la souffrance humaine. Pour toi, l’empathie allait au-delà de la simple reconnaissance mutuelle en identifiant l’autre comme semblable et le moi comme autre.
Nous avons coanimé pendant deux décennies le séminaire Un social possible ? A cette époque les deux disciplines Psychanalyse et Anthropologie étaient plutôt distantes l’une de l’autre. Les anthropologues ne s’intéressaient pas à l’inconscient et les psychanalystes avaient une certaine méconnaissance du social. C’est à partir de ton ouvrage sur le lien social que nous avons commencé notre collaboration. J’ai eu le plaisir en le lisant de voir combien la psychanalyse y était présente. Dans les interstices de ton écriture, parfois un peu ardue, venaient se lover les impensés des sociétés, des groupes et des individus.
Au CIPA, notre conception de l’anthropologie freudienne s’est alors ouverte à l’anthropologie critique enrichissant réciproquement notre compréhension de l’humain dans les sociétés. Après nous être mis d’accord sur l’agencement de nos travaux respectifs, l’aventure a pu commencer en construisant des passerelles entre ces deux disciplines. Tu me trouvais pessimiste et toi tu te désignais comme optimiste, je pensais que ces qualificatifs pouvaient très bien circuler entre nous, même si un sociologue voit ce qui marche et qu’un psychanalyste voit les failles, les fêlures, les blessures des individus. Cette question a été à maintes fois reprises dans nos débats et nos recherches. Nous l’avons approfondie tant dans les aspects objectifs que subjectifs lors de l’analyse des discours en cherchant ensuite à créer du commun.
Ta présence chaleureuse et ton érudition ont transformé les impasses intellectuelles en opportunités pour continuer à découvrir. Tu as su nous faire appréhender l’humain dans la complexité du théologico-politique, cher à Claude Lefort, suscitant ainsi des débats passionnants. Cependant la vivacité de nos échanges autour de la notion de complexité rendait parfois nos séminaires mémorables. Peut-être qu’à cet instant en perdions-nous notre humour ? Tu me disais en partant « tu n’es pas fâchée, je vois que tu es fâchée ». Mais non Louis, je n’étais pas fâchée. Tu appréciais d’être aimé et chacun a pu te le témoigner à sa façon.
Le séminaire a été un lieu d’étude, certes exigeant, mais également empreint de respect et de tolérance. Nous y avons exploré de nombreux textes et ouvrages à la lumière des théoriciens des siècles passés et ceux de notre époque, ce qui a donné naissance à des thématiques sur l’actualité sociale et même sur l’IA. Tout ceci nourrissait largement nos activités.
Si nous avons débuté en séparant le politique et la politique, nous savions qu’au cœur de tes préoccupations se trouvait la légitimation, que tu as étudiée à partir des codes et des codages, en l’articulant au corps, à l’individuel et à la singularisation. Nous avons aussi exploré la manière dont les pensées, les productions et les transformations des pratiques peuvent être aussi abordées dans les fondements les plus profonds d’une anthropologie psychanalytique, en tenant compte du sensible, des émotions et des subjectivités.
Le plaisir d’avoir pu penser tous ensemble nous laisse un patrimoine intellectuel et sensible que nous allons continuer à faire vivre au CIPA.
J’aimerais ici remercier Ariane pour sa patience d’avoir accepté nos discussions interminables au téléphone car non contents de préparer notre séminaire, de brasser des idées, de déconstruire des concepts pour mieux les assimiler, nous refaisions le monde en parlant politique. En te paraphrasant Louis, je dirai à Ariane « vous n’êtes pas fâchée… »
Merci Louis pour tout ce que tu nous as apporté.
Mes collègues du séminaire et moi-même tenons à adresser à Ariane, Chloé, Yero et à vos proches, notre profonde sympathie bien attristée.
Marie-Laure Dimon, Paris le 6 février 2024
En tant que présidente du Collège International de Psychanalyse et d’Anthropologie, je tiens tout particulièrement à saluer la mémoire de Louis, membre participant du CIPA et représentant des membres participants au conseil d’administration. Sur un plan scientifique, il a contribué à élargir la recherche des psychanalystes que nous sommes dans nos travaux entre psychanalyse et civilisation, inconscient, culture et société avec l’apport de sa grande culture en sociologie et en anthropologie. Entre nous point de querelles d’écoles ni de clochers mais un grand désir de partager et de s’enrichir de nos cultures différentes dans des débats souvent animés.
Pour le travail d’écriture de nos exposés cliniques, Louis, tu savais à merveille en repérer les liens à l’environnement et nous encourager à les développer afin de faire vivre et approfondir cette rencontre entre la psychanalyse et l’anthropologie qui était notre axe de travail. Louis, tu vas nous manquer, ton amicale présence, ta générosité dans le partage et la confrontation des idées, toutes ces années de travail ensemble avec le CIPA…
Hommage à Louis Moreau de Bellaing.
À partir de la théorie des pulsions, Louis Moreau de Bellaing s’engage dans une mise en perspective du champ social et anthropologique que « Freud développe, mais qui constitue dans toute son œuvre, une sorte de limite entre l’humain et le non humain ». L’anthropologie comme science de la culture (au sens habituel du terme : « mœurs et manières ») – l’une des définitions de l’anthropologie – devient « critique » lorsqu’elle se livre à un approfondissement spécifique de ses concepts. Or l’un des modes de cet approfondissement peut se faire vers la psychanalyse.
Telle est la voie empruntée dans six ouvrages de Louis Moreau de Bellaing édités dans la Collection Psychanalyse et Civilisations, L’Harmattan Editeur.
Mais il m’a été impossible d’évoquer l’originalité de l’engagement de sa pensée, vu le temps qui m’a été accordé, le 28 mars 2024, lors de l’Hommage rendu à notre collègue et ami. C’est ce que je ferai dans un prochain ouvrage prévu pour la fin de l’année.
Jean Nadal
Sur l’invulnérabilité
Serge Raymond, le 28 Mars 2024
Et bien voilà, Louis ! C’est arrivé. Tout comme et avec moi, tu te croyais invulnérable, sans trop vraiment y croire et pourtant…! Retenons que l’inévitabilité de la mort était notre commune préoccupation. Et le voilà ce moment, qui prend corps, qui a pris corps. Faisant surgir une question de notre enfance, et qui est celle de cet âge la : de revivre « après ce qu’on a pu vivre avant ». Rappelons nous que si les étapes du développement sont connus et identifiés dans les premiers âges, il y a un vide en ce qui touche à l’évolution de l’involution; andropause et ménopause notamment et jusqu’à la finitude. Les étapes involutives seraient les mêmes qu’en étapes évolutives; on peut faire l’hypothèse que cette reconnaissance et cette nomination seraient facteurs de réassurance
Nos questions : Sommes nous préparés à mourir, à mieux regarder la mort en face car cette mort, ce tabou nous concerne tous, autant que nous puissions être ? On dira tous deux, et avec Montaigne « pour apprivoiser la mort, il n’y a que de s’en avoisiner », la prendre comme voisine. Ce fut le climat de nos derniers échanges avant que tu te rebelles et manifestes ta révolte, dises ton vécu d’injustice, aussi de citoyen défendeur d’une spiritualité authentiquement laïque. Tu croyais en la vie, et en l’autre.
À cause de cette fin inévitable, tous les humains habitent une cité sans remparts, on le savait bien.
Tu sais Louis, j’ai osé dire tout ça. Tu me ménageras quand on se reverra.
Je t’embrasse,
Serge.
Évolution/Involution : un aller-retour
Projet à partir d’un texte publié dans « Psychologie Clinique » il y a quelques années lors de mon départ en retraite et intitulé « Demain, quand je serais petit ». Projet, aussi, s’appuyant sur les réflexions de Victor Hugo : « Quarante ans c’est la vieillesse de la jeunesse, mais cinquante ans c’est la jeunesse de la vieillesse ». Notre travail ne s’enferme pas dans la plainte ou dans les regrets. Il s’établit à partir d’une hypothèse qui suggère que l’asynchronisme entre le développement biologique et le développement social peut rendre compte des inaptitudes et des conduites inadéquates. Nous noterons que cette première approche (étude) des premières années de l’enfant laisse pendante la suite du cheminement de l’enfant dans l’entrée puis la sortie de son parcours. L’idée étant, et bien partagée par Louis, qu’à l’entrée dans les 40 ans on débute un parcours à l’envers, celui de l’involution, en retraversant ce qu’on eût à connaitre au temps de notre évolution.
Louis reste interrogateur sur le devenir de ce projet, car il ressent une profonde fatigue : « Je ne sais plus si je peux collaborer, mais je t’aiderais autant que je pourrais, de toute ma force. Ta lecture m’a donné un grand réconfort. Dès qu’on est vraiment âgé, ce qui est mon cas, on a tendance à se diminuer soi- même. Mais ce « narcissisme sacrificiel » oublie le corps psychique, même s’il est, comme on dit, en démence sénile ». Tel qu’il est, il est humain, il se vit humain, avec une autre norme que notre norme ordinaire.
Louis m’écrit en pensant à ce patient à qui son thérapeute demandait : « Vous n’allez pas déjeuner ? et qui lui répondait : « Non, je n’ai pas de bouche ». « Dans ce que tu me dis ajoute -il,: « la vieillesse n’apparaît pas comme un naufrage . Comme tu le dis, c’est le corps psychique qui, sur le corps physique, vit et bouge encore, travaille, se battant pour que l’autre demeure ».
« Je t’embrasse. Merci ».
Louis
Claude Forzy † – Neuropsychiatre et psychanalyste
En hommage à Claude Forzy, un psychiatre humaniste.
J’ai eu le plaisir d’accueillir Claude Forzy dans la Collection Psychanalyse et civilisations. Il ne s’agit pas prioritairement de l’auteur-écrivain, auquel je fais référence ; je nomme ici l’Homme, l’humaniste qui se manifeste avec un apparent détachement pour traiter avec humilité de ce monde violemment carcéral de la psychose. Il s’agit « de la pâte humaine » avec laquelle il se relie à l’autre, avec inventivité, humour et profonde bienveillance dans son engagement de clinicien, tout en conservant un pied sur la terre ferme.
Après Psychothérapies de psychotiques. La source (série « Trouvailles et Retrouvailles » dirigée par Jacques Chazaud dans la collection Psychanalyse et civilisations), Les dessous du divan, et Psychose et tendresse, Les deux Octave, récit romanesque autant que fidèle, titre de son dernier ouvrage où il porte témoignage que le réel, la pensée délirante et le romanesque habitent profondément le psychisme du psychotique pour peu qu’on lui accorde sa part de vérité de sa « surréalité ». Mais de quel réel, de quelle réalité s’agit-il ? Il l’a choisi. Celui d’une philosophie de l’être, une idéologie, d’une éthique. L’ouverture, l’accueil, le partage du lien humain, le retour à La Source ; celle du cri de l’illisibilité qui ligote avec gravité l’acuité clinique, le contre-transfert particulièrement vis-à-vis de la pensée délirante du psychotique enfermé dans sa solitude. Document, récit poignant du partage de vie dans la chambre d’hôpital de deux psychiatres qui, dans leurs échanges se confrontent à la mort tout en interrogeant, avec gravité, le devenir de la psychiatrie !
Une brûlante actualité !
Jean Nadal, octobre 2022
Hommage à Claude Forzy, décédé le 18/10/2022
Tu le savais mieux que personne : la maladie mentale, la schizophrénie terrifient. Comme la mort. La vie psychotique ne mériterait pas d’être vécue. La vraie vie c’est le prosaïque, la tendresse, l’humour, la spontanéité, l’original. C’est de cet humus, plutôt que de la sèche théorie, – mais ta curiosité te permettait de connaître tous les coins et recoins psychiatriques et psychanalytiques – que jaillissaient tes réflexions. Cinquante ans d’engagements, de pratiques psy, de bricolages, d’expérimentations avaient fait de toi le témoin, l’avocat, l’artisan de cette vraie vie dans le douloureux chaos psychotique. Transmission passionnée, visage contre le vent, d’incomparables leçons d’existence. Il me faut t’en remercier.
PS : Lors de notre ultime entretien téléphonique, tu m’invitais au partage futur d’une langouste dans un des trous noirs du cosmos. Problème : je n’ai pas encore trouvé de langouste.
Albert Le Dorze, Lorient, Le 24/10/2022
Janine Puget † – Psychanalyste (IPA), membre fondateur de l’Association de Psychologie et de Psychothérapie de Groupe Argentine
Nous apprenons le décès de Janine Puget survenu à Buenos Aires le 5 novembre 2020 peu de temps avant la parution de son dernier livre Faire avec l’incertitude. Investir le présent du sujet. Janine Puget nous rendait visite tous les ans, hormis l’année dernière où sa grande fatigue lui avait fait renoncer à ce voyage, et nous étions toujours très heureux de l’accueillir. Cela nous fait beaucoup de chagrin et ces rendez-vous vont nous manquer tant était importante sa présence à l’autre et sa manière de nous le transmettre. Marie-Laure Dimon était en lien avec elle pour les rencontres qui avaient lieu au CIPA et lui envoyait notre rapport moral chaque année. Janine lui répondait toujours, en particulier à propos des aspects théoriques qui l’intéressaient beaucoup. Marie-Laure souligne que Janine Puget était une penseuse profonde, résolument ancrée dans l’actuel, peu intéressée par le passé, une chercheuse infatigable de l’humain, du couple, de la famille et du social. Avec nous il était question du social qu’elle théorisait d’une façon très originale en lui donnant une place autonome par rapport à l’intrapsychique. D’où son travail sur le Deux, l’écart, qu’elle étayait davantage sur une pensée philosophique, réservant le monde de la pulsion à l’intrapsychique. Sa grande capacité d’écoute et de réflexion tournée vers la culture vont nous manquer ainsi que son humanisme. A la personne chaleureuse et pleine d’humour qu’elle a été, nous témoignons ici toute notre affection.
Claude Brodeur † – Philosophe, Psychanalyste
L’année 2018 a vu le décès de C. Brodeur et nous avons choisi de mettre sur notre site cet hommage, qu’au Canada, sa collègue et amie Isabelle Lasvergnas lui a rendu ; collègue qui l’a accompagné tout au long de ces dernières années dans l’épreuve de sa maladie. Hommage auquel nous nous associons et qui témoigne aussi de la profonde sympathie que nous avions pour C. Brodeur d’avoir su animer en nous ce vif intérêt pour la recherche entre psychanalyse et anthropologie.
Hommage à Claude Brodeur Isabelle Lasvergnas