Autour d'un livre...
Quelques propos…
Il y a sans doute plusieurs façons de parcourir ce livre,dont celle qui prend du temps : aller à la rencontre des peintres, de leurs œuvres, s’en imprégner, avec ce que Jean Nadal en dit, en raconte, dans un voyage intime nous donnant à voir et à regarder autrement.
Ce faisant, il interroge ainsi sa double position, peintre et psychanalyste, et leur troublante parenté, celle de la sublimation dont l’essence échappe à l’entendement, s’échappe sans que l’on puisse s’en saisir si ce n’est que de la faire vivre ou ressentir, dans « un désir de faire affleurer le visible dans l’invisible, quitte à protéger le caractère énigmatique de l’œuvre-rêve… »
C’est cette double position qui permet à l’auteur de nous proposer le concept de Pulsion de peindre,spécifique à l’art de peindre.
Cette pulsion, comme une pulsation, se niche dans la rencontre avec la couleur, elle fonde le peintre en tant que sujet. A travers Léonard, véritable homme-orchestre, pour lequel la pulsion envahit tous les domaines du savoir et de la création, le travail du négatif, dans sa double fonction structurante et déstructurante, nous amène au plus près du trauma du peintre, dont celui de la « mère morte ».
Se révèle aussi la découverte de « ce qui irrésistiblement prend son envol sans prévenir, est expulsé du corps sans conscience » à travers la peinture. La toile devient alors le lieu de l’enfantement, du« désir d’engendrement barré » (A.-M. Caussanel) ou alors celle d’une identification/propulsion « vers un état de la destinée humaine » (P. Christin), dans la plus grande souffrance qui soit (Chemin de Croix) ou alors avec des lieux investis.
Travail de liaison, deuil et sublimation, en lutte contre la pulsion de mort, en ce que le geste du peintre relie, à partir d’un chaos qu’il ordonne, des lignes de crêtes et de fractures. Une forme s’érige qui jaillit au monde, à la vie, poursuit son élan, sur la toile, sous le regard.
Jean Nadal écrit ce chaos travaillé par la pulsion, chaos qui produit de la couleur, comme issue des entrailles de la vie utérine, des éprouvés corporels les plus intimes, du cœur de la libido et du sexuel. Mais aussi, du regard, de la vision du peintre, pulsion scopique : l’œil puise sa jouissance de la beauté du monde (Rothko) mais il est aussi l’organe de l’ordonnancement de ce même monde auquel il confère et ajoute de la beauté (Léonard).
Son écriture métaphorise le corps du peintre en un écran onirique sur lequel vient se projeter l’image de son corps, de sa peau, sur lequel se dilate son enveloppe corporelle dans un dialogue incessant, confronté aux aléas et aux imprévus, à l’indicible, « ces choses qui sautent aux yeux et qu’on n’attendait pas » (Soulages). Son geste va jusqu’à susciter des images visuo-motrices dans un intense travail de rêverie (Léonard) et la toile devient une peau, lieu de projection et de pare-excitation, prolongement du corps imaginaire, offerte aux regards.
Ces quelques notes ne rendent que partiellement compte de la richesse du déploiement de la pulsion de peindre mise en scène et en sens par l’auteur, pulsion qui se décline de façon multiple, embrasant le corps, des entrailles au regard en passant par le geste, emprise, mouvements, tramés dans une écriture sensible et argumentée, nous faisant vivre intensément la couleur comme autant de fragrances visuelles.