21 juillet à Alata (Corse du Sud)
16 septembre à Poggio Di Venaco (Haute-Corse)

Trois toiles de Jean Nadal sont exposées dans la salle de conférence de la Villa Giafferi

.  

 

Lors de ces rencontres croisées nous avons ouvert un vaste panorama de questionnements interdisciplinaires et anthropologiques.
Celui-ci est vivifié par la reconnaissance d’un principe d’analogie utile à la réception des perceptions. Sensibles aux stratégies de l’écriture inhérentes à différentes poétiques, — qu’elles puissent être littéraires, picturales, musicales ou philosophiques, — ces publications croisées, apportent au départ d’éléments réflexifs constamment renouvelés, des fondements à une psychologie du geste
artistique en tentant d’allier le sensible à la raison.

Jean Nadal et Joseph-François Kremer ont communément choisi d’établir un dialogue permettant ainsi de pouvoir rebondir sur les concepts et les idées développées spontanément lors des deux séances offertes en Corse du Sud à Alata le 21 juillet et à celle
donnée en Haute Corse à Poggio Di Venaco le 16 septembre 2023.

 

Séance du 21 juillet en Corse du Sud à Alata

Jean-Jacques Colonna d’Istria, Président de l’Association I Scontri di San Benedetto, présente les deux conférenciers :

Jean Nadal propose d’aborder les fondements inconscients œuvrant dans création. À partir de la conception freudienne considérant que « la pensée trouve sa source dans l’hallucination du désir », il envisage l’acte de création à partir du continuum hallucinatoire nocturne et vigile, considéré aussi comme « matrice du virtuel ».

La création artistique ou scientifique (cette dernière reposant évidemment, sur des assises mathématiques très élaborées), le surgissement créatif est ainsi envisagé dans le cadre du travail de l’inconscient et du continuum hallucinatoire. C’est le cas des rêveries nommées aussi par d’éminents scientifiques « rêveries », « illuminations » ou encore, « expériences de pensée » ; elles sont à l’origine de grandes découvertes (loi de la relativité et physique atomique et quantique et d’applications dans de très nombreux domaines de notre vie quotidienne). C’est le cas d’Einstein (à 16 ans), Planck, Born, Heisenberg, Schrödinger, Langevin, Poincaré, de Broglie, etc.

En peinture, il nous remémore l’émergence du processus hallucinatoire chez Kandinsky, où les couleurs, sorties des tubes, posées sur sa palette, (considérée – à partir de « l’espace transitionnel » de Winnicott – comme un « espace intermédiaire »), qui est déjà une « œuvre en soi » – couleurs représentatives, chargées de libido, cette matière en devenir, – telle des êtres vivants en mouvement sur le support pictural, voués à faire naître, ainsi qu’il le souligne, « une tonalité musicale ». Les couleurs ainsi sexualisées, en se mélangeant donnent naissance à d’autres teintes, prévisibles ou imprévisibles, rendues vivantes », créant ainsi des « rythmes animés » selon Kandinsky. C’est le cas aussi chez Paul Klee, tous deux synesthètes (associent sons et couleur) et Joan Miró dans ses « Tableaux–poèmes », qu’il considère, avec Jacques Dupin, comme « la couleur de mes rêves ».

Par ailleurs quelques éléments de théorie sont apportés sur les notions d’images motrices visuelles et sonores dans le cadre de la théorie psychanalytique faisant le lien entre le travail de composition musicale et le pictural, (par exemple, scansion, rythme, couleur, pression, percussion), superpositions très proches de celles mise à jour par la mécanique quantique), liens entre peinture et musique ouvrant la voie à l’émergence  de l’affect et du sens, du sensoriel et de l’intelligible, de l’invisible, et de l’infiniment petit. Découverte ainsi des lois qui bouleverse la notion de « réel », de « réalité » et l’expansion d’un imaginaire quantique.

C’est le cas aussi pour des peintres contemporains tels Christin et Beksiński. Ce dernier dans son désir de rendre visible l’invisible et l’étrangeté, dans une toile sans titre de 1983, fait apparaitre dans la brume, la vision d’une « cathédrale-mère ». Il en est de même sur une toile de 1979. Il utilise la notion « d’apparition » sur plusieurs toiles dévoilant des édifices religieux sortis de l’ombre, tous empreints du sentiment d’inquiétante étrangeté, dans une scansion pulsion de vie/ pulsion de mort. (Jean Nadal, La Pulsion De Peindre L’Harmattan,2018, p 217).

Joseph-François Kremer, pour sa part, propose une compréhension de la musique à travers une lecture de la Monadologie de Leibnitz. Il signale la forme compositionnelle à partir le principe suivant : le son, le dicible, la note émise, l’accord, l’harmonie les règles de successions des accords, les agrégats de sons, l’agrégat dans la phrase musicale, la phrase musicale, la phrase musicale dans la section de l’œuvre.

Ces éléments emboitables et constructifs sont d’autant de perception pouvant s’enchaîner et favorisent des combinatoires, des genres, des espèces, offrant la voie libre aux théories des séries, libérant une forme d’harmonie universelle déjà prônée.

Le convexe ou le concave apporte une vision que l’individu peut mener sous son libre arbitre.  Ce symbole est une forme géométrique d’un cône de vision de chacun. L’art du dessin serait dans le contexte de la philosophie de Leibniz la saisie d’une monade inhérente à la monadologie en ce sens qu’il serait un élément microcosme issu d’un macrocosme ouvert vers l’infini.

Une œuvre musicale, le mouvement lent de sa IVème symphonie est proposé à l’écoute en illustration d’une conception de ce que serait une forme de post-modernité musicale, Joseph-François Kremer précise En tant que compositeur qu’il se risque à dire : « qu’il y a dans sa musique, toutes les musiques qu’il a entendues ». La volonté pulsionnelle de créer se joint à la mémoire de son propre engrangement et constitue une force particulière encrée dans son inconscient et projeté dans un réel contemporain.

Joseph-François Kremer aborde dans ses analogies entre le musical et la pensée, la notion du fini-infini, dans la traversée du temps qu’opèrent les compositeurs, d’époque en époque, en utilisant les formes académiques classiques, romantiques puis révolutionnaires du dodécaphonisme avec Schönberg, et la nouvelle école viennoise dès le début du XXème siècle.

Il précise aussi qu’il pourrait se présenter comme un compositeur « classique -contemporain », soulevant ainsi le paradoxe des archétypes portant dans le geste créatif des contradictions entre le passé universel de la création musicale dans son sens scholastique, à une revalorisation de l’actuel dans sa réapparition contemporaine, transposée dans l’actuel, d’où l’analogie qu’il se propose de faire avec la notion de postmodernité musicale.


Séance de Poggio Di Venaco du 16 septembre

Madame Annette Luciani, Présidente de la maison culturelle de la Casa Giafferi, présente les deux conférenciers :

La même journée, dans différents espaces de la Maison Giafferi, le peintre Mario Sépulcre a accroché ses œuvres dans le cadre d’une exposition réunissant ses « miniatures érotiques .

La séance menée par Jean Nadal et Joseph-François Kremer prend la même forme que celle qui avait été choisie le 21 juillet à Alata afin de pouvoir établir un dialogue tout au long du discours passant de la musique au pictural et vice-versa.

Au cours de l’exposé, sont proposés à l’écoute les compositions de Joseph-François Kremer : le « 4ème mouvement de son Dio Di Salvi Régina (2005, création à Caracas) pour 5 voix solistes, », un extrait tiré de l’original du Dio Vi Salvi Regina de 1675 attribué par Saint François de Geronimo et l’extrait de son 7ème « Klaviersatz » (pièce soliste pour piano).

Joseph-François Kremer se propose de situer l’étendue de ses recherches philosophiques dans le domaine de la musique et présente les différents points qui permettront de suivre ses démonstrations qui qu’il propose tout au long de la séance en faisant références à ses deux ouvrages « Les Formes Symboliques de La Musique » (1984, seconde édition en 2006) et « Les Grandes Topiques Musicales » (1992, réédition en 2012).

L’écoute du 2ème mouvement de sa 4ème symphonie « The Forest Call » sert d’exemple pour aborder la notion musicale d’une forme de postmodernité.

2ème mouvement : https://www.youtube.com/watch?v=y7FZ5nFjle4
3ème mouvement : https://www.youtube.com/watch?v=FTJChTAxz_s https://www.youtube.com/watch?v=gtCwrBmJnFM
1er mouvement : https://www.youtube.com/watch?v=XKz9VCX036I

Jean Nadal aborde le rôle et la puissance du symbole dans la peinture. Ainsi la notion de rendre visible l’étrangeté, Beksiński, dans une toile sans titre de 1983, fait apparaitre enveloppée de brume la vision d’une cathédrale. Il en est de même sur une toile de 1979. Il utilise dans ses commentaires la notion d’apparition sur plusieurs toiles dévoilant des édifices religieux sortis de l’ombre, tous empreints du sentiment d’étrangeté passant, comme le signale Jean Nadal, du visible à l’invisible, de la pulsion de vie à la pulsion de mort. (La Pulsion de Peindre° La toile et son inconscient, L’Harmattan, p 217).

Jean Nadal nous guide dans le rôle de l’hallucinatoire qui, dans ses soubassements originels, est une réponse à un vécu de perte ou de manque, et se transpose en un désir sublimé dans l’expression artistique. La gamme évolutive de l’intensité peut être inscrite dans différentes temporalités ou différentes intensités, d’où la possibilité de chocs sensoriels et cognitifs.

Poursuivant le tracé symbolique que peut porter l’œuvre musicale dans un autre registre, Joseph-François Kremer propose l’écoute du 2ème mouvement de son Dio Di Salvi Régina (2005,création à Caracas, 1ère soprano Carole Segura-Kremer) pour 5 voix solistes, où le compositeur signale à l’auditoire qu’ il utilise  la notion de collage, telle une icône symbolique qu’il y fait apparaitre dans la section conclusive de l’œuvre ; elle apparait comme une citation imaginée d’une façon contemporaine  et non copiée à l’identique,  d’un extrait tiré de l’original du  Dio Vi Salvi Regina de 1675 attribué par Saint François de Geronimo qui inspira les corses qui devint un hymne hautement symbolique pour les insulaires.  Le collage surgit dans l’œuvre contemporaine créant ainsi par son effet inattendu, une superposition du temps et de style en filigrane qui se joint à une écriture contemporaine.

https://www.youtube.com/watch?v=6RheDBNUDlU

Le troisième exemple musical du compositeur proposé à l’écoute est l’ extrait de son 7ème « Klaviersatz » (pièce soliste Martine Vialatte,  piano) , ou il établit une correspondance avec l’oeuvre littéraire « Pour Un Oui Ou Pour Un Non » de Nathalie Sarraute , en dévoilant une analogie entre le grave et l’aigu du piano, par le jeu alterné de la main gauche (pour le grave représentant le non ) et de la main droite (pour l’aigu représentant le oui) le tout aboutissant , sans résoudre la question de qui remportera la primeur, mais en signifiant par l’apaisement de la confrontation à ce que les deux protagonistes symbolisés par les extrêmes graves et aigus, avouent uniquement que le dialogue, étant  sans issu,  puisse s’arrêter.

Klaviersatz n° 7 (extrait) : https://www.youtube.com/watch?v=hSR35h3Q7aE

Joseph-François Kremer faisant référence aux neurosciences, aborde l’espace créatif  présent chez le compositeur, le musicien et l’amateur de musique, rappelant que l’enfant in-vitro entend déjà l’environnement  sonore qui l’entoure, (voix, bruits, musiques, chants) dès  la formation de son système auditif, à seulement un mois et demi, ce  qui autorise  déjà la possibilité et la probabilité d’une genèse de mémorisation,  qui répertoriée, plus tard, prédisposerait à accéder plus naturellement à une faculté de ressentir et à percevoir  par l’abstraction ;  et cela  sans un pouvoir de  visualiser et  favoriserait bien plus tard , pour l’enfant,  la capacité et même une prédisposition,  à pouvoir vivre un imaginaire perceptif et créatif .

Si nous comparons à la capacité visuelle, il y accèdera pour pouvoir discerner ce qui l’entoure, que sept mois et demi plus tard, à sa naissance.

L’importance de l’univers sonore, s’il est possible de le maitriser, prédispose très tôt le musicien, à construire déjà inconsciemment in-vitro à la naissance et durant son enfance, à un imaginaire précoce, par la musique, la voix, les comptines et le chant, et s’agissant aussi des bruits et résonnances divers, familiers, ceux de la nature et même aussi ceux souvent imprévus de l’environnement, directs ou indirects.

Pour conclure le compositeur offre par sa création musicale, une vision de l’espace-temps symbolique d’un imaginaire utilisé par les musiciens romantiques, lorsqu’ils conçoivent la création de l’œuvre musicale portée par l’orchestre symphonique, en appliquant le schéma suivant :

Exemple de géométrie des sonorités sensibles disposées au sein de l’orchestre :

Roméo et Juliette, poème symphonique
Appelée aussi Ouverture-fantaisie de Tchaïkovski

La bataille, premier thème de l’Allegro et l’amour, le second, tout comme le décrit le compositeur à Balakirev en 1869, se dessinent symboliquement émanant d’un assemblage de forces en présence, entre les cuivres et les cordes. La relation entre le choix du sujet et des matériaux sonores de Tchaïkovski et ceux de Balakirev montrent bien la récurrence possible, avec le lien d’une œuvre avec son repère antécédent et sa place en progression dans l’histoire, mais en tenant compte de sa récurrence. Ainsi nous pouvons dépeindre :

Un spectre acoustique général entre grave, médium et aigus

Équilibre stratégique :
Force et expression de densité : graves, médiums, aigus
Force d’intensité sonore :  minimale, médiane, maximale

 

Ainsi, pour terminer pragmatiquement notre exposé signalons la présence, d’une :

Organisation géométrique des espaces de forces
Considérant qu’une musicologie contemporaine puisse subvenir à une musicologie traditionnelle :
  • Force affective narrativité et attente (cordes)
  • Force consensuelle (bois)
  • Force dynamique (cordes/bois)
  • Force héroïque (cuivres) 

Ce tout symbolique dévoile à l’auditeur l’existence d’une organisation des identités « actorielles » (« échanges » des forces en présences)

Signalons des modes de sous-ensembles utiles à l’analyse quantifiable, donc

Inhérente à la mathesis :
  • La thématique (proportion, durée, hauteur)
  • La rythmique
  • La définition intensité/densité
  • La durée générale

Toutes les familles d’instruments s’expriment dans un microcosme de fréquences graves et aiguës, qui définissent, étant donné leurs impédances respectives, un équilibre et une dialectique comportementale à l’intérieur d’une géométrie générale appartenant à un macrocosme symbolique qu’elles alimentent de leurs complétudes et de leurs différences.

 

En conclusion, pour sa part, après avoir noté les équivalences entre le picturale et le musical, Jean Nadal relève les impulsions physiques avec des « chocs » chez Mirό, Kandinsky et Klee. L’effet hallucinatoire chez Beksiński qui partant d’une simple vision qu’il perçu, éprouve « immédiatement (l’) envie de la peindre ». Cette notion de rêve ou de segment fugace, étrange ou fantastique, peut se traduire par une véritable démonstration picturale ou musicale, violente ou apaisante. C’est le cas de Mirό qui semble toucher à l’essentiel et à l’épure : c’est la profonde angoisse dans L’espoir du condamné à mort, tout en vivant dans cet ultime triptyque, une tentative de vaincre le point de fuite de la vie.

Jean Nadal nous le mentionne. Ils prennent tout deux, Kandinsky et lui, le chemin du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier. Kandinsky avait une forte vision symbolique, non pas de créer un instrument, ce qui aurait été un frein conceptuel car tous les créateurs auraient été tributaires de l’outil et en y auraient été contraints, du fait de sa seule vocation utopique  arbitraire pour tous et inutilisable, mais comme le signale Jean Nadal, il suffit  pour  Kandinsky « d’entendre le couleurs », il s’agit là de tout autre chose ! il nous le précise « la couleur est le clavier, les yeux sont les marteaux et l’âme est le piano avec les cordes ».

Il s’agit là d’une force de l’esprit et de liberté créatrice qu’une certaine forme de synesthésie symbolique autorisait enfin, comme le signale Jean Nadal dans son ouvrage, cette force est un moteur d’idées qui paradoxalement prend sa source dans les périodes les plus archaïques.