Passé / Présent
Marie-Laure, notre présidente
Serge Raymond
Voilà ! Tu nous demande de dire, et écrire, nos sentiments à propos d’un texte, le tien, présenté sous forme d’inventaire. Plus simplement d’un bilan d’activités sur pratiquement treize ans de présidence. Tu conviendras que cette entreprise soit d’un exercice difficile sinon périlleux, encore compliqué par cette visio-conférence que je ressens comme une mascarade qui anesthésie l’expression des sentiments, la sensibilité des échanges, et fausse ou altère, voire appauvrit toute spontanéité. C’est par un étrange cheminement que j’ai relu, cet été, phase de déconfinement, le livre de S. de Beauvoir, La cérémonie des adieux suivi de Entretiens avec Jean-Paul Sartre. Août-Septembre 1974.
En fin de lecture, j’éprouve un curieux sentiment de pitié pour le philosophe, interviewé par sa compagne de route. Elle lui règle son compte sans plus de cérémonie.
Tout ça, Marie Laure, c’est notre génération, et moi qui reprochait à S. de Beauvoir sa conception philosophique de l’homme, empruntée à Sartre, je me retrouve, peut-être est-ce dû au temps qui passe, plus proche aujourd’hui de cette philosophe. Ma mère n’avait pas tout compris. Bref, notre génération fut celle de la prévalence du contenu latent sur le contenu manifeste, de repérer ce qu’il y avait sous la scène pour éclairer mieux ce qui se passait sur la scène et, partant, de cerner au moins loin ce qui pouvait nous miner, nous mener, dans ce qui faisait l’essentiel de nos initiatives. Nous étions immergés dans un bain, celui d’une psychanalyse qui était en pleine essor. Où en sommes-nous aujourd’hui ? N’est pas ce travail qui fut le tient de tenir à bout de bras une conception du soin et de l’accompagnement auprès des moins munis qu’on appellera, faute de mieux, les « psychotiques ». Cet état d’esprit, ce retournement de mon sentiment à l’égard des écrits de cette philosophe vaut pour nos échanges CIPA. Car, il faut en convenir, la singularité de notre association réside dans un souci de compatibilité, c’est à dire d’une recherche de conciliation des théories en opposition, ceci en traitant des effets cumulatifs de ces différends-différences. Pour dire tout ça dans une autre langue, celle de R.M Rilke :
« Chacun porte sa mort en soi, Comme le fruit son noyau »
C’est bien ce dont nous parlons dans nos deux séminaires, celui du Lundi, versus anthropologique, bientôt paléoanthropologique, et celui du Jeudi qui touche à l’évolution des involutions jusqu’à l’originaire dont l’au-delà est toujours reculé, rendant son accès impossible. Or, pour le masculin, à « l’impossible » il sait se tenir. L’imaginaire est son objectif et il vit dedans. Posons, schématiquement, et sans autres prétentions que ce qui distingue le féminin du masculin ne sont pas le visible anatomique mais bien plutôt leur orientation respective, l’une en direction de l’originaire et ses conséquences en termes de responsabilités, l’autre en direction de l’imaginaire en des conséquences toujours différées. C’est en cela qu’il n’y a pas de différence sexuelle, par conséquent pas de rapports du même nom. Peut-on mesurer l’impasse dans laquelle nous nous trouvons dans cette bascule des idées dans ce que je retiens des apports qu’avec Agnès et Christine, tu sais nous transmettre ? Comme tu peux le constater, il ne saurait s’agir d’un réquisitoire dirigé contre Sartre et le masculin, pas plus que d’un plaidoyer en faveur d’un féminin, empêtré dans son impossibilité de s’affranchir, et se libérer de la pression de son bourreau. N’est-ce pas là, Marie-Laure, Madame la présidente sortante, ce « fonds qui remonte » et fournit de l’encre à ton porte plume, comme un ancrage à ton vigoureux texte de sortie raisonnée. Un texte (mise au point) qui correspond à une étape pour notre association, et un terrain de recherche pour une œuvre qui est, de fait, la tienne et par laquelle tu ne sauras incarner, par ton cheminement, le parcours CIPA mais entreprendre cette œuvre qui sera celle non plus de ton identification CIPA, mais bien celle de ta différenciation. Peut-on suggérer, pour si osé que cela soit, que tu souhaites éviter à notre association cet affreux sentiment d’un corps qui se lâche alors que la tête est encore solide. Mais tu restes et tu seras bien présente dans l’organisation de nos (tes) séminaires.
Ces quelques lignes ne sont ni une épitaphe, ni une oraison funèbre en cela qu’elles voudraient ouvrir et étayer de nouvelles postures dans le paysage psychanalytique dont tu fais partie, de cette génération en défense ou en maintien. Toutes choses qui préparent un futur corporel, une enveloppe contenant deux corps en interaction, interattraction, à tout le moins au service l’un de l’autre.
Jeudi 26 Novembre 2020