Passé / Présent

Le passé/présent et l’avenir du CIPA 

Louis Moreau de Bellaing

Si nous partons du présent, ce qui me paraît important d’abord, ce sont tous les débats que nous avons au CIPA sur ce qui touche aussi bien à la psychanalyse qu’à l’anthropologie critique et dont les échos se diffusent, se croisent et se répondent entre les séminaires interdisciplinaires [« Un social possible ? » et « L’originaire »] et le bureau. Il me semble que, dans ces points de discussion, nous avons une sorte de question latente : comment l’individu singulier se socialise-t-il ? Comment les rapports sociaux objectifs et le lien social subjectif déjà là contribuent-ils à socialiser l’individu ? Ces questions, nous tentons d’y répondre avec les apports et les expertises des uns et des autres de nos membres.


Si nous faisons une rétrospective des thèmes qui ont circulé entre toutes les instances du CIPA, ce que nous constatons c’est que tout cela a commencé par la politique et le politique, continué avec la Révolution pour revenir à une série de thèmes qui avaient à voir avec notre point de départ, le politique et la politique : la masse, l’étranger, etc. pour en arriver à notre thème actuel, la question du sensible dans la démocratie, notamment quand il prend la forme du populisme.

 

Ainsi, depuis le CIPA des origines et des grands séminaires orientés sur l’articulation psychanalyse/anthropologie freudienne et organisés par Jean Nadal, notre président-fondateur, nous sommes passés, sans lâcher ni l’une ni l’autre, à une ouverture sur l’anthropologie critique. La diversité des horizons et des participations, entre la psychanalyse, l’anthropologie, la médecine, la psychiatrie, l’ethnologie, la sociologie, l’ergonomie, offre une représentation plurielle des sciences sociales. Ceci nous permet aussi de repérer ce qui peut nous manquer dans nos séminaires, par exemple du côté de la sociologie critique – notamment du travail –, et du côté de l’histoire. Mais cela, c’est l’avenir, tenant évidemment au passé-présent, notons que l’une des qualités du CIPA, c’est que les propos ne se rigidifient pas et ne se donnent pas de limites hors celles qui nous feraient complètement sortir de la psychanalyse et de l’anthropologie freudienne et critique. Nous les mettons en commun dans nos livres collectifs qui rassemblent à la fois nos écrits et ceux d’intervenants extérieurs, dans les livres écrits par certains d’entre nous, dans des recensions, des articles édités sur notre site… Pour ma part, je me dis qu’il convient d’approfondir l’idée de légitimation à laquelle j’ai travaillé ma vie durant, en l’articulant plus précisément au corps, à l’individuel, à la singularisation ; mais aussi à la socialisation par reconnaissance réciproque de la singularité de chacun. Il est plus que jamais nécessaire que nous continuions à partager nos travaux pour contribuer à une recherche commune en lien avec les orientations du CIPA.

 

A mon avis, en tant que sociologue au CIPA, il me faut développer avec d’autres sociologues l’analyse de discours. Sur un thème donné, il est possible de rassembler non seulement des textes écrits, imprimés, mais aussi des paroles recueillies par cassettes, des observations, des événements circonstanciels courts ou d’une longueur accessibles à des vidéos, des séquences films, des photos, en produisant si possible, une analyse des significations immédiatement visibles. Cette analyse de significations sur un thème donné est toujours nécessaire en sciences sociales, significations qui se présentent dans leur enchaînement. L’analyse de discours se faitd’abord du point de vue objectif (les actes, les évènements, les comportements, les attitudes, les objets matériels, concrets qui apparaissent dans le thème), puis du point de vue subjectif (les passions, les sentiments relatifs au thème) dans le matériau recueilli, c’est-à-dire de ce qui se révèle de plus apparent.

 

C’est après ces deux premières approches qu’on peut pratiquer l’analyse par association libre. Cela veut dire que ce qui relève des significations objectives et subjectives sur le thème est provisoirement abandonné, mis entre parenthèse et que le matériau traité l’est au niveau du sens qui ne dissout pas nécessairement la signification, mais peut la faire changer de sens, ou la doter d’une absence, celle du concept lui-même, de tel concept alors qu’on l’attend. Un nouveau paysage, pour le thème, naît des connotations entre les termes, autrement dit de ce qui y fait seulement sens, qui peut être un minuscule détail par rapport à l’ensemble de la conceptualisation, de la problématique, voire des premières hypothèses, nouveau paysage fait du relevé de formes grammaticales qui font tilt parmi d’autres, de relevé des répétitions, etc. L’analyse de discours par association libre est celle que conçoit Barthes, telle que l’a pratiquée Collette Guillaumin dans son livre sur le racisme, et telle que je l’ai pratiquée moi-même dans la plupart de mes travaux. en sciences sociales.

 

Mais on ne sait pas par quel bout les prendre. La difficulté actuelle est que les sciences sociales refusent l’idée d’inconscient et encore plus la psychanalyse. Or lorsqu’on fait, dans une langue donnée correspondant à une culture commune, sur un thème, des analyses de discours, par association libre impliquant des connotations, mais également des césures, des oppositions, des positions sociales, cela dans un domaine, qu’en tant que science sociale, telle science sociale refuse d’explorer par ce type d’analyse, il s’agit bien, malgré ce refus, d’explorer aussi de cette manière-là ce domaine là. Par exemple, lorsqu’on trouve, travaillant sur le thème des classe sociales, dans le corpus analysé en analyse de discours par association libre, systématiquement le pouvoir en sujet et les classes sociales en complément, il s’agit, non tant de répondre à la question posé par cet élément repéré, que de poursuivre, avec les moyens du bord y compris l’analyse de discours par association libre, la recherche…

 

Marie-Laure Dimon quitte la présidence, après avoir donné au CIPA, non seulement une orientation nouvelle, mais un espace élargi de travail et de réflexion qui incite ses membres et ceux qui en suivent les travaux (livres, articles, Rencontres-débat, Séminaires Thématiques) à se poser des questions, non seulement sur les grands thèmes qu’il fait siens : l’originaire, le corps, l’individu, le social, le politique, etc., mais encore sur la manière même dont peuvent être abordées pensées, productions et transformations de pratiques, par exemple concernant les figures de l’oppression. Cet espace élargi donne désormais une place reconnue au féminin maternel.

 

La nouvelle présidente, Christine Gioja Brunerie, qui, pour s’être occupée toutes ces années des aspects administratifs et numériques ouvrant sur l’institutionnel de l’association, connaît au mieux l’aventure du CIPA et continuera à l’ouvrir le plus possible vers l’extérieur.

 

Dans cette continuité, nous ouvrirons, non pas seulement sur de l’intellectuel mieux creusé, mais sur une pratique sociologique et anthropologique mieux subjectivée, dans une résonance avec la subjectivité de l’intrapsychique dans ses soubassements les plus profonds. Tout ceci favorisera, comme dans toute institution, l’élaboration des divergences et du commun et permettra de continuer à faire vivre le dialogue entre psychanalyse et anthropologie dont notre époque a tant besoin mais dont elle aimerait mieux se dispenser.

 

12 décembre 2020