Passé / Présent

Hommage à Marie-Laure Dimon

Jean Nadal

À l’occasion de la prise de responsabilité de la Présidence du CIPA par Christine Gioja Brunerie que je félicite pour son élection, je joins quelques commentaires sur l’apport considérable de Marie-Laure Dimon. Quelques observations liminaires :

 

La psychanalyse est une anthropologie

C’est ce que Marie Laure rappelle, utilement dans son récent « Rapport moral ». Tel est effectivement le projet fondateur du Collège et de son ouverture à des praticiens-chercheurs en sciences humaines, mais aussi dans d’autres domaines autant scientifiques que littéraires et artistiques, se réunissant, à partir de l’œuvre de Freud, autour du concept d’inconscient. Serait-ce par nostalgie ? Ou, plutôt dans la quête d’un viatique et/ou d’une inscription dans une filiation qui permet à l’analyste de se nourrir du savoir des autres disciplines – ce champ anthropologique auquel Freud se réfère et qui a contribué à la construction de la métapsychologie – et de s’identifier !

 

La fondation du Collège est, elle-même, un acte politique

Elle repose sur la conviction que la liberté de penser et le fonctionnement démocratique étaient essentiels, non seulement à la vie de la cité, mais aussi à l’éthique psychanalytique. Aussi est-elle considérée comme le fondement d’une pensée la plus libre possible afin d’assurer une écoute et une fonction interprétante se référant à la construction du cadre analytique. Positions cliniques et éthiques qui contribuent au développement de la créativité de chacun dans sa pratique clinique, la constitution d’un appareil théorique critique et dans la recherche. D’où le choix de favoriser l’ouverture des modalités formatives interdisciplinaires afin d’éviter, autant que possible, la répétition compulsionnelle constitutive de l’inconscient et de ses répercussions dans le contre-transfert.

 

D’où la nécessité, aussi, de se protéger d’une pensée théorique dominante qui se présente comme hégémonique à la fois dans la recherche, la formation des psychanalystes et dans l’Édition. La notion de collégialité est une réponse à l’ouverture à ces différents domaines.

 

La psychanalyse et le psychanalyste face à la politique et au politique

La sortie de l’ouvrage, N’en parlez à personne de Helena Besserman Vianna que mentionne Marie-Laure Dimon a révélé, non seulement la question du politique, mais de la compromission au plus haut niveau de certaines organisations psychanalytiques internationales dont son représentant en France, avec la dictature brésilienne. D’où leurs tentatives, souvent discrètes, de surseoir la sortie de l’ouvrage, de ses révélations, de les maintenir secrètes et sous l’emprise de l’injonction liminaire de « n’en parler à personne » – sans altérer, par la suite, nos rapports avec leurs membres et d’éditer leurs travaux.

Les impacts des choix politiques dans la vie sociale ont donné lieu à des débats et publications telles celles concernant les questions du sexuel, du genre, du couple, de la famille, de la filiation, de la transmission, de l’identité et de l’identification, face aux mutations anthropologiques auxquelles nous assistons.

 

Désaccords profonds qui, dans leur radicalité, affectent différents positionnements anthropologiques, en particulier, politiques, sociologiques, religieux, scientifiques, médicaux et psychanalytiques face à ces nouveaux défis, concernant la parentalité et nos référents théoriques vis-à-vis du point de vue de l’inconscient.

 

Nouveau «Malaise dans la culture», interrogations sur la bioéthique, les neurosciences, l’intelligence artificielle, la génétique et la génomique !

 

Ouverture aux autres disciplines, création du site web, accueil, approfondissement et élargissements théoriques, autant de référents que Marie-Laure Dimon a mis en œuvre avec les membres du Bureau. Constitution des groupes de recherche, de formation – séminaires thématiques, interdisciplinaires et organisation des Rencontres débat – qui ont donné lieu à l’édition d’ouvrages collectifs dont Le sensible et le barbare. Figures de L’homme planétaire ; sa sortie est prévue très prochainement.

 

La richesse des interrogations ou prolongements des différents axes des Rencontres Débat que Marie-Laure Dimon mentionne dans son dernier compte rendu, peut servir, à chacun d’entre nous, d’ouvertures et de pistes pour confirmer que l’on peut, après Freud et, dans son sillage, approfondir les aspects théorico-cliniques, épistémologiques, sociologiques, scientifiques, politiques, et artistiques – ce positionnement anthropologique – qui nous permet de repenser, problématique de la langue, du sensible et de la subjectivité partagée par l’anthropologie critique, l’archaïque et la bisexualité inconsciente, la question de la culture qui « travaille » la pulsion, quitte à la « mettre au travail » dans son rapport à la bipolarité pulsionnelle : sublimer la haine et construire un idéal du moi, être attentif à l’évolution de nos sociétés prises dans la tornade de la violence et de la destructivité, souvent accompagnées d’un idéal de transparence dévoyé.

 

Marie Laure Dimon – avec rigueur, fermeté, nuance et un travail acharné – a animé les activités du Collège. Elle a su maintenir une position fédérative mais, néanmoins ferme, dans le marquage des limites, du possible, afin de conserver les équilibres à l’intérieur d’un groupe. Je la remercie chaleureusement, ici, d’avoir assuré la continuité du projet et de poursuivre ensemble avec le Bureau et le concours du Conseil d’administration, cette tâche. Une utopie, un rêve groupal partagé !

 

12 décembre 2020