Autour d'un livre...
Où allons-nous ?
A partir d’un point d’origine, celui de la liaison entre psychanalyse et le politique, étudiée dans la cure psychanalytique par ceux qui avaient travaillé en institution psychiatrique, le CIPA à travers ce livre continue de travailler cette question du sujet dans l’environnement, question périlleuse ; en effet, l’environnement, cet objet politique est par essence indéterminé ; et quant au sujet contemporain, après avoir traversé depuis les Lumières, quelques révolutions, la séparation de l’Eglise et de l’Etat et autres changements de régimes il s’est inscrit dans un processus d’autonomisation et d’indépendance en lien avec le sociopolitique.
Dans ce processus, il a pris de plus en plus conscience de son corps et de ses limites, entre soi et les autres, celles du singulier et du collectif et, dans la rencontre avec l’autre, l’emprise et la déprise. Parmi les aléas de cette confrontation, et non des moindres, il y a, violemment, structurellement, le refus archaïque de cet autre, cet inconnu, inscrit dans la part d’étrangéité du corps biologique mais aussi dans les corps constitués par la culture et le politique, produisant parfois de l’inhumain au détriment d’une fraternité possible, des névroses individuelles et collectives et des mises à la marge des plus fragiles.
Tous ces mouvements nous ramènent aux origines, voire à l’originaire de la masse qui est aussi lieu de repli face aux métamorphoses engendrées par la société néolibérale et ses excès, contraignant au déracinement des traditions, autant d’arrachements au corps maternel. En contrepoint, le sensible et l’intelligible, vecteurs de l’amour, présentent un ancrage, au-delà des catégories du masculin et du féminin, contre le retournement sur soi et la haine de l’autre.
Le renoncement nécessaire, dès la naissance de la vie psychique, au pulsionnel porteur de barbarie introduit l’autre porté par un féminin maternel sensible et mis en mots dans un langage profondément arrimé à la culture. Or, en quittant l’hétéronomie au service du collectif pour l’autonomie au service de l’individu, nous sommes alors conduits à puiser en nous-mêmes, plus qu’autrefois, dans les ressources du sensible pour affronter le monde, et l’étayage matriciel, s’étant réduit, devient paradoxalement plus englobant.
Les changements sociétaux qui ont bouleversé cet équilibre entre pulsionnel et culture font apparaître des jonctions et disjonctions qui mènent à des sublimations mortifères ou à des débordements instinctuels dangereux dont notre actualité se fait aujourd’hui l’écho et l’anthropologie nous précise comment notre société se désarrime progressivement du patriarcat traditionnel pour en choisir un autre, celui du marché et de ses valeurs économiques donnant lieu à un capitalisme qui scinde le monde en parties très inégales, les possédants, les consommateurs et les précaires. S’ajoute à cela une terre devenue fragile à force d’être exploitée et dont la finitude nous apparaît de plus en plus. Vers quelle perte allons-nous ? Perte de notre monde ? Mais de quel monde s’agit-il ? Allons-nous devenir des exilés d’un monde que nous avons toujours connu, nous tournant vers un ailleurs déjà émergeant et à construire ?
Cet exil deviendra-t-il la métaphore psychique d’une nouvelle naissance ? D’un développement autre qui prenne en compte à la fois la terre et le vivant dans sa diversité, mettant en jeu les strates les plus profondes de la psyché singulière ? Penser l’égalité autrement que dans des rapports de force et de division, ainsi que le signifie en particulier l’écoféminisme ? Et y impliquer les forces politiques et économiques en présence dans l’ici et maintenant ?
Les voies complexes parcourues par les auteurs de cet ouvrage dans les champs de la psychanalyse et de l’anthropologie critique mettent en perspective l’émergence de la légitimité des émotions dans une sphère publique en ébullition et leur prise en considération. Elles posent la question du féminin au cœur de tout un chacun tout en interrogeant la domination masculine versus la position d’un féminin idéalisé et mortifère. L’artiste se fait aussi le porte-parole de ce féminin sensible au plus près de la décondensation de la pulsion qu’il transforme avec le visuel, le sonore et la pensée.
Le sensible est pris ici par le biais de la sensation et de l’affect, communs aux deux sexes, des corps féminin comme masculin, et à reconnaître dans le social, dans ses aléas et son histoire.
A partir de ce vertex, le sensible peut-il structurer l’émotionnel si prompt à se déchaîner dans notre modernité qui prône l’individuel aux limites du légitime et de l’illégitime ? L’homme de demain, est-il destiné à devenir une entité en soi, flottante dans son moi-je singulier ? Rattaché au collectif au nom de ses besoins propres et non plus de ceux de l’ensemble, il doit donc repenser ses liens au monde. Comment continuer à investir l’objet, l’autre ? Comment continuer à construire des liens avec la perception et la connaissance du sensible féminin qui se développe en chacun de nous dans un monde dont l’interprétation nous échappe ? Quel écart ? Et comment allons-nous le construire ?
Quel devenir pour l’homme de la planète terre, traversé par les mouvements d’un capitalisme débridé, hyperconnecté et mis en forme par les mythes contemporains de l’hybridité et de la longévité et néanmoins mis à mal par la pandémie qui nous a envahis et confinés au printemps 2020 ? Sera-t-il plus enclin à l’empathie, au sensible ou à la barbarie ? Peut-être les deux ? Que devient la nature face à la technologie ? L’émergence de nouvelles utopies coexiste avec le cramponnement à un monde ancien qui se manifeste par la montée des communautarismes de tous ordres, liés aux excès du religieux comme à ceux du capital.
L’originalité de ce livre nous amène à découvrir la complexité de l’homme planétaire dans sa représentation, sa singularité, son individualité avec un pulsionnel sur le qui-vive… à la fois massifié et seul, et réduit au plus petit dénominateur commun : « … car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. »