L’interculturalité : une question dans la psychothérapie

MICHEL BROUTA

 

L’esprit de cet après-midi se fonde sur des observations faites au Centre de lutte contre l’isolement et le suicide de Rouen (CLCIS), par exemple :

La rencontre d’une patiente marocaine longtemps suivie par les services de psychiatrie pour psychose et trouble thymique. Elle vient dans le souhait d’écrire son histoire afin dit-elle que ce qui lui est arrivée n’arrive pas aux autres.

La rencontre d’un ressortissant d’Algérie, né en France, kidnappé en Algérie, qui revient en France et essaie de trouver à travers l’imbroglio de ses relations avec l’administration de quoi se reconstituer une identité (on le taxerait de paranoïa)

La rencontre de cette Française des Antilles que sa couleur de peau assigne à l’étrangère, (ce qu’on lui dit) qui si elle accepte et entretient ses relations avec d’autres comme elle, Colombienne, Magrébine, se distancie de son histoire d’origine au point que son nom de naissance nous reste inconnu après plusieurs années ? Elle souffre de fibromyosite.

Ou encore, la rencontre avec cette autre patiente, française depuis peu, phobique au possible, qui interrogée sur son parcours évoque son enfermement d’enfance et d’adolescence au Maroc, et aussi la façon dont elle a reconstitué son décor d’autrefois pour chez elle.

Ces observations offrent des questions qui interrogent nos pratiques habituelles.

Nous ne sommes pas un centre de consultations interculturelles et pourtant cette dimension ne peut être mise de côté si nous nous proposons d’aller vers une mobilisation psychique que la psychothérapie requiert.

Vis à vis de cela il paraissait intéressant de voir quelle sensibilisation était la nôtre dans la région et apporter à ceux qui s’y intéressent une possibilité d’échanger sur ce thème. Nous pourrons ainsi voir si cette manifestation aura un impact et quelle place lui sera réservée par la suite dans l’histoire des manifestions déjà entreprises.

Surtout que la confrontation culturelle, dans sa diversité, la psychothérapie certes, mais aussi l’amour et le couple, la relation sociale dans le voyage, la relation économique – le travail le commerce – conduisent à des rencontres dans un univers où les mouvements de populations ne cessent de s’accroître.

Empêcher cette confrontation culturelle se révèle une tache illusoire voire mortifère, et c’est au contraire vers l’enrichissement de l’ouverture au réel, que nous procurent nos capacités de prise en compte, que peut se trouver un épanouissement.

Ce mouvement de population s’envisage parfois en terme d’exil, or, si l’exil peut avoir un statut psychique, comme l’évoque Alexis Nouss, l’immigration a elle un statut social.

C’est peut-être ici que se place la spécificité de ce que M.-R Moro et D. Delanoë soulignent comme distinguo d’un transfert culturel.

Nous le verrons cela constitue l’un des axes de réflexion du Collège international de psychanalyse et d’anthropologie (CIPA), ce que souligne tout particulièrement l’introduction aux prochaines Rencontres-débat de novembre.

Dans cette lignée se réactive la dimension politique, pour ce qui nous concerne ici, dans son rapport vérité/mensonge (je ne parle pas ici de réalité)

Y-a-t-il un espace pour une personne d’y écrire sa propre histoire ?

  1. Cherki parle de rupture symbolique (fraternité, fermeture).

Derrida parle du mensonge d’état.

Après l’intervention de J. Chirac en 97 sur la Shoah et celle de E. Macron sur le rapport à l’Algérie, le terrain sur laquelle l’état se situe est à repenser continuellement ensemble, notre vie voire notre survie en dépendent.

Nous avons proposé au docteur Albert Le Dorze d’introduire les éléments d’une réflexion, la façon dont il présente sa démarche de pensée ouvrant aux échanges de point de vue :

Psychiatres-Psychanalystes, plongés dans la clinique psychiatrique depuis quelques décennies, nous constatons que nous n’avons pas de thèse à défendre, d’École à promouvoir. Mais faut-il pour autant se priver du texte ?

Des idées sans doute, des pensées peut-être ou de simples petites pierres qui s’agglutinent à un socle qui serait le plus Petit Dénominateur Commun du psychiatre ?

Vagabonder, musarder.

C’est ainsi qu’entre la fonction psychothérapique du psychiatre, les manœuvres de la séduction, les chemins escarpés de la pédagogie, les risques de la dépendance et le Mal barbare à prévenir qui fait grimacer l’Art et la culture, Il faudrait, pour certains, fondre la psyché dans la biologie, confondre aliénation sociale et mentale.

Assertions lapidaires aussi spécieuses que réductrices qui contribuent toutes à la destruction de la psychiatrie. »

C’est ainsi qu’à partir de son livre Cultures métissage et paranoïa, paru chez L’Harmattan, où se convoque une grande diversité de points de vue, nous trouverons matière à enrichir la discussion.

 

Albert Le Dorze a également publié :

La chair et le signifiant, L’Harmattan 2016

Articles consultables ou à paraître :

L’analyse sans qualités

Psyché et cultures

 

Bibliographie complémentaire :

Différence culturelle et souffrance de l’identité, dir. R. Kaës, Dunod, 1998.

Manuel de psychiatrie transculturelle, dir. M.-R. Moro, La pensée sauvage, 2006.

La frontière invisible, A. Cherki, Editions des crépuscules, 2006.

Les figures de l’autre, O. Douville, Dunod, 2014.

Histoire du mensonge, J. Derrida, Editions Galilée 2012.