Présentation croisée...
Présentation croisée
Le sexe dans tous ses éclats et débats
Le sexe évadé
Editions L’Harmattan, Collection Psychanalyse et Civilisations, Paris, 2023
Georges Zimra
Le corps comme limite ?
Christine Gioja Brunerie
Il court, il court le furet
Le furet du bois, Mesdames
Il court il court le furet
Le furet du bois Joli…
Tout d’abord, merci à Georges Zimra pour ce livre, Le sexe évadé, qui nous déroule l’histoire très documentée d’une différence des sexes bien campée de ses origines jusqu’à aujourd’hui dans ce que nous vivons comme un changement radical. En lien avec les règles de la Présentation Croisée que nous avons déjà expérimentée, nous croisons aujourd’hui des fils de réflexion entre le livre de Georges Zimra et d’autres ouvrages traversés par la même thématique, ici avec le livre collectif du CIPA, Le corps & l’amour. J’ai choisi d’explorer un angle de vue particulier du livre Le sexe évadé à partir de l’excès, du sexe comme expérience de la limite et je l’ai rapportée au corps à partir d’un champ clinique d’observation des rencontres dans les réseaux sociaux.
Le sexe, depuis longtemps, figure dominante d’une aliénation du corps en occident et sujet à tous les excès dans une transgression récurrente du fait même de cette aliénation par la loi, n’est plus soumis aujourd’hui aux mêmes entraves. Le maillage très fort du collectif s’est disjoint laissant la place à l’expression et à la réalisation des besoins et des désirs propres, ce que la modernité a permis largement avec le déploiement de la démocratie. L’individu se confronte de plus en plus à la disparition des repères anciens et à la recherche de nouveaux qu’il construit en les découvrant, dans une tension entre un singulier qui s’affirme en face de l’affaiblissement d’un collectif lui-même en mouvement. Cet affaiblissement du collectif s’est produit à travers le déclin du patriarcat au profit de l’individualisme, avec la montée des féminismes, l’émergence du féminin et un assouplissement de la loi qui donne à chacun le droit de disposer de son corps comme il l’entend et de poser son identité comme étant un choix intime et personnel. L’autodétermination est de mise.
Le sexe sans la loi ? « La loi du sexe c’est le débordement » ; écrit Georges Zimra, « l’excédent, l’extension, sans savoir où il nous mène. Mais où est la transgression si tout est transgression ? » Où donc est la limite, s’il n’y a plus de transgression ? Plus de conscience de la limite ? Dans le corps ? Corps qui se relie à une nouvelle conscience qui, libérée des contraintes du passé, en garde néanmoins une présence et se construit en vivant l’inédit, les excès ?
La clinique, l’observation des pratiques de rencontre aujourd’hui, nous montrent la complexité liée aux mises en scène de vivre sa sexualité.
Il semblerait que aller à la rencontre de l’autre est toujours mû par le besoin d’aimer et/ou d’être aimé mais aussi par le désir, le besoin pulsionnel pour certains d’une consommation sexuelle, ainsi recherchée comme telle. Ce qui se dévoile c’est donc une tension vers un régime d’authenticité des ressentis qui donne la priorité à l’émergence des besoins, des désirs, des émotions. Sans en oublier les excès possibles.
Ainsi internet se prête-il à travers les réseaux sociaux à un mouvement qui rend ouverts tous les possibles de rencontres allant de la recherche amoureuse à une sexualité sans durée ni mémoire, l’objet pouvant être abandonné aussitôt que saisi, la quête étant investie pour elle-même et non son objet, s’abîmant ainsi dans un vide pensée, de réalité via le déclenchement d’une expérience de satisfaction/frustration sans fin. Mais si la rencontre avec l’objet se produit, il est vraiment intéressant de voir qu’elle se fait sur les mêmes bases inconscientes de toutes rencontres, liant les deux protagonistes aux lieux de leurs blessures inconscientes et de même nature, l’un comme l’autre étant désigné pour les apaiser. Mais ils ont eu besoin de cet artifice pour se rencontrer, en mettant d’abord les corps à l’écart, gardés pour soi, anonymisés, par le truchement de la toile, écran de protection. Alors, la parole a pu circuler, les désirs, les besoins se dire, comme s’il fallait d’abord tâter du pied la chaleur de l’eau ou sa fraîcheur avant de s’y plonger.
D’autres espaces sont mis en place dans des réseaux sexuels créant des espaces de groupes libertins plutôt légers et festifs dans lesquels se retrouvent les tendances actuelles de la société, une égalité entre hommes et femmes, une solidarité qui se construit à travers l’organisation de discussions sur les façons de vivre aujourd’hui la sexualité, mais aussi sur la vie de tous les jours. Les corps sont bien présents, la sexualité, l’échange, un partage qui se construit. Cela fait penser un peu aux communautés post mai 68, sauf qu’ici ce sont des urbains qui se rencontrent pour mettre en commun leurs intimités et une activité sexuelle vécue comme une composante ordinaire de toute relation, génératrice d’une sociabilité, d’un certain capital social mais également créatrice de liens d’interdépendance. Le renouvellement des partenaires est fréquent et pas du tout clandestin. Et là aussi cet espace peut être vécu comme un espace de transition pouvant permettre une rencontre plus exclusive. Dans ces cas-là le réseau sexuel est quitté.
Il y a bien sûr un marché de ces réseaux sexuels qui vont du plus soft pourrait-on dire au plus hard.
Et puis, pour certains courants de la cybersexualité, « le corps est clairement surnuméraire ». Ces courants « appellent de leurs vœux l’émergence prochaine d’une humanité (que certains nomment déjà une posthumanité) enfin parvenue à se défaire de toutes ses entraves dont la plus cuisante serait le fardeau d’un corps désormais anachronique, fossile ». On pourrait parler ici de la recherche d’un corps glorieux dans une vie sexuelle virtuelle non encombrée par les réalités de la vie, pas d’identité, sinon multipliée à l’infini. L’anonymat de la toile permet de revêtir à défaut d’avoir un corps, l’identité, le genre, le sexe de son choix et d’en changer d’une rencontre à l’autre.
Le sexe s’évade-t-il du corps pour mieux échapper à la mort ? Le corps est-il la limite ultime de protection du fait de sa disparition ? D’où un langage désincarné ?
Ne sommes-nous pas dans une mutation de société où les réseaux sociaux réglant les rapports amoureux font que le langage s’évade du corps autant que le sexe ? Où sont la jeune fille en robe de bal et le jeune homme qui refait son nœud de cravate ? Ecart vertigineux pour notre génération en ce qui concerne une l’organisation de la pensée qui doit se saisir du virtuel sans s’y perdre.
Bibliographie
Christine Gioja Brunerie : « Amour et écran », in Le corps & l’amour. Psychanalyse et Anthropologie critique, coll. sous la direction de Marie-Laure Dimon et Michel Brouta, Collection Psychanalyse et Civilisations, Paris 2016: L’Harmattan.
Daniel Welzer-Lang : Du réseau social au réseau sexuel. Dans Empan 2009/4 (n° 76), pages 72 à 82. https://www.cairn.info/revue-empan-2009-4-page-72.htm.
David Le Breton : La sexualité en l’absence du corps de l’autre : la cybersexualité. Dans Champ psychosomatique 2006/3 (n° 43), pages 21 à 36. https://www.cairn.info/revue-champ-psychosomatique-2006-3-page-21.htm.