AUX ORIGINES DE LA VIE PSYCHIQUE
Psychanalyse et vie fœtale

François Farges, Nicole Farges, Sylvain Missonnier & Chantal Lheureux-Davidse

Avec une postface de Bernard Golse

Cet ouvrage a été publié avec le soutien de l’université Sorbonne Paris Nord et du Laboratoire UTRPP-UR 4403
Editions d’Ithaque, Paris, 7 avril 2023

Recension : Marie-Laure Dimon

 

Cet ouvrage explore la vie fœtale d’une manière transdisciplinaire et novatrice. Il met en évidence l’importance de comprendre la complexité de cette période fondamentale du développement humain et celle de la psyché naissante. Il nous pousse aussi à dépasser les préjugés en évitant les interprétations simplistes et en considérant les résistances et les fantasmes de fusion qui peuvent émerger.

Dans son introduction, Dominique Mazéas souligne que ce livre soulève de nombreuses réflexions psychanalytiques sur la vie fœtale et qu’il s’inscrit également dans un cadre épistémologique et transférentiel faisant de la césure de la naissance une voie de passage vers la capacité dynamique associative au-delà des points de repères habituels et culturels. L’auteur nous fait saisir l’influence de notre perception du vivant sur notre vision du fœtus et le sentiment d’inquiétante étrangeté qui remet en question nos paradigmes habituels de compréhension de l’altérité pour penser son caractère radical et en partie « insondable ».

L’ouvrage se compose de trois chapitres, au cours desquels, les auteurs examinent la rencontre avec l’archaïque comme ses effets sur la psyché naissante et ses pré-symbolisations.

Le premier chapitre, « La vie somato-psychique du fœtus, observations, réflexions, inscriptions » est co-écrit par François Farges, gynécologue-obstétricien, échographiste et Nicole Farges, psychologue clinicienne, psychanalyste, membre de la SPF. Ils explorent la vie intra-utérine et la première enfance qu’ils posent en continuité alors que la césure « frappante » de l’acte de naissance nous a laissé croire pendant longtemps le contraire.

Dans ses consultations, François Farges donne une place incontournable à l’échographie permettant de découvrir la vie fœtale dans tous ses aspects ainsi que les résonances entre le fœtus et la psyché parentale. Les recherches transdisciplinaires font dialoguer échographistes, neuroscientifiques et psychanalystes. Il considère l’échographiste comme un traducteur qui habille et humanise le fœtus en devenir par ses mots pour le décrire qui lui donne aussi « une peau, une limite ». L’auteur explore également le développement sensorimoteur du fœtus en mettant en évidence le toucher et les autres sens dans la formation de la sensorialité post-natale et l’accès au sens et à la pensée.

Farges et N. Farges montrent comment les nouveau-nés sont équipés de récepteurs chimiosensoriels capables de capter les odorants dans le liquide amniotique, ce qui établit un lien précoce avec la figure maternelle. Cette « empreinte olfactive fœtale » est singulière et persiste non seulement à la naissance mais aussi tout au long de la vie. D’autres concepts sont abordés tel que la rythmicité in utero, le rôle de la succion étayée sur l’alimentation du fœtus, permettant de distinguer un contenant et un contenu et de différencier, entre autres, le vide et le plein. Il sera également abordé, les notions d’apesanteur et sa disparition à la naissance, le traumatisme de la césure à la naissance et l’écart dans un milieu amniotique homogène

Selon François Farges, la clinique des jumeaux in utero met en évidence leur singularité et la nécessité d’un environnement différencié pour chacun. Il précise que la présence d’un autre jumeau est considéré comme proto-objet qui permet d’explorer les expériences sensorimotrices précoces et distinctes de chacun avec l’objet rencontré dans l’interactivité. Le repérage des proto-liens font envisager leur impact en tant que préconception de l’altérité. Ces expériences s’inscrivent sous formes de traces neuronales modifiant les circuits neuronaux. Quelle traduction sera-t-elle réservée à ces traces au cours la vie, en sachant que la plasticité neuronale peut avoir des modifications à l’adolescence?

Du point de vue psychanalytique, Nicole Farges examine le rôle des traces archaïques dès la naissance dans la rencontre avec l’environnement aérien. Si ces traces ont leur origine pendant la période fœtale, l’auteur rappelle que Freud a conceptualisé un appareil de mémoire dont la première inscription psychique est la trace perceptive, enregistrement brut neuronal, puis la trace mnésique perceptive, inscription psychique faite de perceptions et d’affects. Ces noyaux archaïques inconscients se mettraient-il en tension avec l’inconscient phylogénétique freudien ? Ces traces ne sont-elles pas les manifestations de la sécurité et de l’unité mais aussi du plaisir/déplaisir ? Sont-elles la préfiguration de la dualité bon sein/mauvais sein ? L’auteur développe comment ces expériences originaires assurent un continuum entre le monde fœtal et celui de la naissance par leurs mises en forme à partir des pictogrammes et des signifiants formels.

Dans la cure analytique, les vestiges de ces traces fœtales sont retrouvés et N. Farges les éclaire à partir de fragments cliniques. L’expérience de ces traces est également envisagée comme matrice de la vie psychique en gestation et les idées de Bion sur la préconception sont convoquées pour saisir l’ouverture sur le transgénérationnel car les empreintes précoces sont repérables par l’échographie.

Farges et N. Farges explorent la vie somato-psychique humaine dans sa richesse et sa complexité, tout en reconnaissant le style et la singularité de chaque bébé afin qu’il puisse s’engager activement dans des relations sociales.

Dans le deuxième chapitre, « Des consultations thérapeutiques – Parents/fœtus ? » Sylvain Missonnier, professeur à l’université Paris Cité, membre du laboratoire PCPP (UR4056), psychanalyste membre de la SPP, président de l’IVSO, situe sa recherche dans l’étude des traces archaïques du fœtus dans l’enfant et dans l’homme. Il se positionne ici en complémentarité avec les travaux de recherche de François Farges et de Nicole Farges. Cependant, il reconnaît que de nombreux cliniciens expriment des résistances par rapport à l’aspect social de cette approche.

Sylvain Missonnier mène ses recherches en se basant sur son expérience dans le domaine des consultations thérapeutiques anténatales (CTA). Il accorde une place importante aux caractéristiques de ces consultations en tant que lieu de prédilection de la prévention primaire et secondaire pendant la période de la grossesse, notamment pour les couples en difficultés avec la PMA, les nouvelles formes de la parentalité et les dysharmonies précoces. Il examine l’aspect intrapsychique et les relations interpersonnelles au sein du couple et de la parentalité et l’illustre par deux récits cliniques.

Au fil des années, S. Missonnier a proposé des concepts métapsychologiques, tels que, la notion de relation à « l’objet virtuel » et, en collaboration avec Bernard Golse, la troisième topique en 2021. Il démontre que les deux topiques psychiques freudiennes résultent d’un processus de différenciation intrapsychique. Cependant, le travail en périnatalité avec des fœtus/bébés ou avec des sujets peu différenciés, nécessite, une métapsychologie du lien pour dépasser le clivage entre interpersonnel et intrapsychique.

Selon S. Missonnier, la métapsychologie du lien est associée à la « troisième topique » et il souligne l’importance de l’investissement préobjectal qui se manifeste par un mouvement orienté vers l’extérieur avant même que l’autre ne soit identifié en tant qu’objet. Il fait référence au concept winnicottien du « sense of being » qui ne vise pas directement l’objet en tant que tel, mais témoigne déjà d’un investissement dans ce lien préobjectal intersubjectif. Il montre ainsi combien l’image joue un rôle crucial dans la formation de nos tout premiers contenus psychiques, comme l’image échographique qui représente le premier réceptacle de nos émotions, de nos attentes et de notre relation avec le futur enfant.

A partir d’une clinique prénatale, l’auteur développe l’importance des CTA en tant que cadre permettant d’accueillir les parents « enceints » et ouvrant à la fois sur une expérience individuelle et interrelationnelle. Ce cadre thérapeutique s’inspire des théories de Bleger et de Bion car sa fonction essentielle est d’être un contenant spatiotemporel pour les émotions et les processus psychiques des parents ainsi qu’un lieu d’ élaboration des « différentes tonalités de leurs angoisses de malformations ». Pour le clinicien, cela demande d’avoir la souplesse d’une écoute empathique sur le plan individuel et institutionnel afin de dénouer les reviviscences des conflits précoces de séparation et d’individuation. Ces traces psychiques inconscientes de symbolisation primaire se retrouvent dans les processus de transitionnalité et de transformation.

Missonnier étudie l’enracinement inter-corporel comme la fusion la plus primitive avec le corps de la mère, ainsi que la dialectique contenant/contenu et la mutualité de l’espace de rencontre entre les futurs parents et le fœtus. Cet enracinement inter-corporel permet au corporel d’être pris dans le registre métaphorique des parents « enceints » et du fœtus. L’auteur souligne l’importance de la relation d’objet virtuel (ROV) dans les thérapies psychanalytiques précoces en mettant en avant la relation entre l’analyste en tant que contenant psychique et les parents dans leur rencontre périnatale. Le transfert prend une forme matricielle et massive faisant évoluer le thérapeute dans un continuum entre fusion et autonomie, reflétant les multiples reviviscences des conflits liés à la filiation et à l’affiliation. Le contre-transfert met alors l’accent sur l’intensité émotionnelle car l’analyste est comparé à un réceptacle ou un contenant psychique, celui-ci jouant un rôle important dans la rencontre périnatale entre « devenant parents et devenant humains ».

L’auteur soulève le débat sur l’apport de la CTA et l’apport de la vie fœtale et de son environnement en tenant compte des souffrances normales liées aux conflits archaïques car la violence fusionnelle est présente au cœur de l’expérience humaine.

Le troisième chapitre « Le fœtus, petit explorateur de l’espace et l’enfant autiste à la découverte de son environnement », Chantal Lheureux-Davidse, Psychologue, Psychanalyste, maître de conférences HDR et responsable du DU Autisme à l’université Paris Cité, IHSS EP CRPMS, se propose de décrire quelques observations à partir des « films échographiques de fœtus », ceux de François Farges qui transmettent une meilleure connaissance de la vie fœtale et ce que peut vivre le fœtus. A la suite de différents auteurs, Ch. Lheureux Davidse explore la vie sensorielle des enfants autistes en développant les cinq sens et mettant en évidence leurs recours à des sensations spécifiques.

C’est avec une grande finesse d’observation que l’auteur examine la construction corporelle du fœtus et ses interactions avec l’environnement, soulignant l’importance des explorations de la paroi utérine, du cordon ombilical et de son propre corps dans les détails.

L’auteure prend également en compte les difficultés des personnes autistes à investir l’espace et à évaluer les distances et à établir un lien direct avec les autres. Ces personnes autistes peuvent être submergées par les informations sensorielles sans arriver à les filtrer, ce qui les amène à vivre leur environnement de façon chaotique. Elles cherchent des repères immuables pour se sentir sécurisées et ont peu de liens identifiants ce qui affecte la construction de la conscience de soi et de leur sentiment d’exister.

Il est donc important de maintenir des échanges de regards, des mimiques faciales et des émotions exprimées par les visages dans ce « va-et-vient relationnel » avec les personnes autistes. Tous ces éléments leur permettent de mettre en place un regard périphérique moins complexe et de créer ainsi des liens avec l’autre. Les mouvements et les échanges, passant par un autre, constituent des boucles d’échanges qui aident les enfants autistes à intégrer leurs intérêts singuliers.

L’auteure souligne également l’importance de repérer ce qui favorise la prise de contact spontanée avec les autres et propose que l’accompagnement thérapeutique consiste à relancer, entre autres, les mouvements dans le processus de représentation, afin que l’enfant puisse être disponible à lui-même.

L’étude de la vie fœtale nous fait entrer dans la profondeur et l’ajustement des thérapies psychanalytiques auprès des enfants autistes qui se détournent de la complexité, de l’agitation du monde et des émotions exprimées par les humains.

Cet ouvrage se termine par une postface de Bernard Golse qui rend hommage aux auteurs du livre. Il souligne que leurs travaux de recherche vont plus loin sur la vie fœtale car leurs hypothèses viennent féconder et enrichir « le corpus psychanalytique général ». En éclairant le passage du sentiment d’être au sentiment d’exister, il donne à cette transformation du prénatal au postnatal toute la dimension que prend l’enjeu de la périnatalité et des soins précoces.

Cet ouvrage profond et riche invite les lecteurs à remettre en question leurs croyances et leurs attitudes envers le fœtus et la nature de la vie elle-même.